Lorenzo cela fait de nombreuses années que nous nous connaissons et, pourtant, je n’ai jamais eu l’occasion de t’interviewer. Je suis content de profiter de ta programmation ici, au Cognac Blues Passions 2010, afin de remédier à la chose. C’est un endroit où je t’ai souvent croisé, on sent que tu portes un intérêt particulier à cette manifestation…
Je suis venu ici, pour la première fois, en 1999 au sein du groupe Miguel M and The Brachay’s Blues Band. Nous avons été reprogrammés l’année suivante etc…
J’ai vraiment pris goût à ce Festival qui est superbe à tous les niveaux. Le cadre, l’organisation, la programmation, l’ambiance particulière qui y règne, tout y est formidable. Il n’est pas devenu l’un des plus grands Festivals du genre en Europe pour rien…
C’est un plaisir d’être là et d’y retrouver la grande famille du blues. Il est important d’y venir, ne serait-ce qu’en tant de festivalier, afin d’en prendre plein les oreilles et les yeux. Il est aussi incontournable d’y être afin de rencontrer un maximum de gens et d’y lier des relations de travail.
Etant d’origine espagnole, est-ce là-bas que tu as découvert la musique où est-ce en France ?
Je suis d’origine andalouse par mes parents mais je suis né en France. J’ai découvert la musique à travers mes frères aînés. Si mes sœurs préféraient des artistes tels que Léo Ferré, Maxime Le Forestier ou Jacques Brel… eux me faisaient bénéficier de leurs collections de 45 tours à travers lesquels j’ai découvert des artistes tels que Carlos Santana, Ten Years After (via le double 33 tours du Festival de Woodstock) etc…
Cela a été une vraie révélation et m’a donné envie de jouer. L’une de mes sœurs a pris des cours de guitare classique mais ça n’a duré que 6 mois. De ce fait j’ai récupéré sa guitare qui traînait et j’ai commencé à jouer. Je devais avoir 12 ans…
Si tu étais autodidacte au départ, as-tu pris des cours par la suite ?
Non, je suis complètement autodidacte. J’ai commencé à jouer «Jeux Interdits» sur une corde puis je suis directement passé à «Smoke On The Water» (rires). Je jouais seul, sans professeur. C’est, peut être, un tort mais je ne me pose plus la question.
Justement, avec le recul, ne penses-tu pas que c’est grâce à cela que ton jeu laisse aujourd’hui une si grande place au feeling ?
Oui, je suis convaincu de cela. Il n’y a pas de règle, ce n’est pas tout noir ou tout blanc. En tant que guitariste soliste je pense que le fait d’être autodidacte te donne, par la force des choses, un style unique. Il n’y a pas d’intellectualisation de la musique et c’est-ce qui m’intéresse. D’ailleurs j’ai toujours été attiré par les musiciens autodidactes comme Jimi Hendrix, pour ne citer que le plus célèbre.
Parmi les musiciens que citais auparavant (Carlos Santana, Alvin Lee du groupe Ten Years After…), beaucoup font preuve d’une grande technique…
Oui, mais je n’ai rien contre les grands techniciens de la guitare. Chez eux c’est souvent leur «coup de patte» caractéristique, développé au fil des ans, qui me touche. Par exemple, il suffit d’écouter une demi mesure d’un morceau de Carlos Santana pour le reconnaître, idem pour Mark Knopfler et tous les grands guitaristes.
Ils possèdent vraiment leur «couleur» et leur propre son. Il y en a beaucoup qui essayent de jouer comme eux mais ce ne sont que des clones. BB King a de la technique, bien qu’il ne soit pas un énervé du «truc» mais putain il a la note… c’est lui !
La technique doit être au service du feeling mais, malheureusement, il y en a qui prennent le truc à l’envers. Beaucoup de guitaristes privilégient la main gauche alors que, pour moi, c’est la main droite qui compte le plus. C’est elle qui donne les nuances, la main gauche n’en est que le prolongement…
Tu viens de citer BB King et j’en profite pour saisir la balle au bond. De quelle manière le blues «pur et dur» s’est il immiscé dans ta vie et via quels artistes ?
Il s’est immiscé en moi sans que je m’en rende compte grâce à tout ce que j’écoutais quand j’étais gamin. Comme beaucoup de musiciens de ma génération, c’est vraiment Stevie Ray Vaughan qui m’a le plus marqué dans les années 1987-1988. Il arrivait à «envoyer» tout en transmettant de l’émotion. On ressentait les influences d’Albert Collins et d’Albert King dans son jeu. A travers lui, j’ai eu envie de découvrir ses prédécesseurs. J’ai eu un chemin un peu particulier parce que, au départ, j’écoutais du rock des années 70 puis du jazz-fusion (Weather Report par exemple) et seulement après au blues.
Avec des parents andalous, est-ce que tu as bénéficié de leur culture musicale. Entendais-tu beaucoup de musique espagnole à la maison ?
Oui, mes parents avaient des vinyles de flamenco mais le vrai… pas le cliché Gipsy Kings.
D’ailleurs je fais un parallèle avec le blues car comme le tango et d’autres musiques, on y trouve une certaine profondeur. C’est terrien et ça vient vraiment des tripes. Il y a un lien, des passerelles, c’est évident !
J’étais imprégné par ces sonorités et je m’en suis influencé. J’aime jouer le blues et, de temps en temps, un peu en sortir afin d’amener une autre couleur. Je suis un navigateur musical…
As-tu, rapidement, intégré des groupes de manière professionnelle ?
J’ai commencé dans une petite formation, au Collège, alors que j’avais 14 ou 15 ans. Puis j’ai monté un petit groupe dans ma ville. Nous jouions pas mal dans l’année, j’étais donc devenu semi-pro ou semi-amateur…
Puis je suis devenu professionnel, cela s’est fait au fur et à mesure. Je n’ai pas intégré beaucoup de groupes en fait. Je suis à l’origine du Brachay’s Blues Band avec Miguel M, j’ai aussi joué avec Fred Chapellier, Nina Van Horn en tant que bassiste…
Suite à ton expérience au sein de Miguel M and The Brachay’s Blues Band, tu as aussi exploré de nouveaux territoires en collaborant avec des artistes issus de régions lointaines. Peux-tu revenir sur ces expériences ?
Oui, en 2003 sur mon premier album solo «Andaluz Child» qui était assez «world-blues» j’avais invité le chanteur Dilshad Mohammed Amin que j’avais rencontré, près de chez moi, alors qu’il été réfugié politique kurde irakien. Il était chanteur dans son pays et, lorsque je l’ai connu, il était peintre. Il a participé à 2-3 titres de cet album, j’aimais bien ce mélange avec sa très belle voix.
De toute façon l’Orient est lié au flamenco puisqu’on sait qu’il y a des origines maures dans cette musique. On y trouve aussi des origines indiennes, du folklore irlandais et même de la musique yiddish.
Cela se ressent aussi dans le blues aujourd’hui avec des guitaristes tels que Derek Trucks. Ce dernier sait même donner des sonorités indiennes à son instrument, j’adore cela !
Le blues est une grande autoroute et il est, parfois, sympa d’emprunter les petites départementales avoisinantes avant d’y revenir. Je suis quelqu’un d’ouvert, je ne cherche pas à revendiquer une pure appartenance au blues. C’est comme ça…
Cette ouverture vers la world music t’a-t-elle handicapé à une période de ta carrière. Certains programmateurs se sont-ils détournés de toi ou est-ce que, au contraire, cela t’a ouvert des portes ?
C’est un peu des deux…
Dans le circuit blues il a pu y avoir certaines réticences mêmes si ce CD a été très bien perçu par la presse nationale (Jazz Hot etc…).
Ceci-dit j’ai bien tourné avec cet album. De toute façon on ne peut pas plaire à tout le monde et comme je fonctionne à l’instinct…
Le deuxième disque était beaucoup plus blues, voire rock sur certains titres…
En exclusivité mondiale pour toi mon David, je t’annonce que je vais enregistrer un nouvel album en 2011. A mon avis ce sera un véritable retour aux sources, un disque très blues avec beaucoup de slide.
As-tu écouté certains disques de tes confrères qui s’orientent aussi vers un registre world-blues?
Je pense, en particulier, à Gas (Gaspard Ossikian) avec son excellent «Oriental Mood»…
Je n’ai pas écouté l’album de Gaspard mais je l’avais vu, ici même, à Cognac avec ses musiciens arméniens. Tout cela m’intéresse, la démarche est géniale !
Il a réussi à introduire ses origines et tout son vécu dans son blues qui reste authentique. C’est quelque chose d’enrichissant à faire mais cela l’est aussi pour les auditeurs s’ils sont ouverts d’esprit.
Slawek (chanteur-guitariste d’origine polonaise, Nda) avait fait la même chose, profitant de ses voyages à Istanbul, Lisbonne ou New-York…
Tu es un guitariste qui pratique une musique toute en finesse. Celle-ci est doublée d’une humilité qui reflète bien ta personnalité. Ce trait de caractère ne t’handicape-t-il pas par rapport à certains autres musiciens dont l’égo est surdimensionné ? Ces derniers vendent davantage leurs « belles paroles » plutôt que la qualité de leur musique…
Tu mets le doigt sur une chose importante. On m’a déjà dit qu’il fallait que je pense davantage à me vendre. A force de m’entendre dire que je suis trop modeste, je commence à prendre conscience de la chose. Il est parfois frustrant d’entendre parler de certains guitaristes que les gens considèrent comme des héros alors qu’ils ne sont pas des musiciens exceptionnels. Que répondre à ces personnes ? On ne peut rien dire…
Je n’aime pas me faire « mousser », j’ai du mal avec cela…
C’est un tort car, du coup, on me voit moins et on m’entend moins… Je n’ai pas franchi le cap (rires) !
Suis-tu de près les carrières de certains tes amis, eux excellents musiciens, comme Johan Dalgaard ou Fred Chapellier. Je suppose que tu dois être très heureux de constater leur ascension…
Oh oui tout à fait !
Je suis toujours leur actualité. Je trouve génial ce qui arrive à Fred, je le connais depuis si longtemps… Ce doit être un rêve, pour lui, de jouer avec une grande star française (Fred Chapellier est le guitariste de la tournée 2009/2010 de Jacques Dutronc, Nda). J’espère que cette expérience va lui ouvrir beaucoup de portes et va bien lui servir, par la suite, pour sa propre carrière solo avec son groupe. Quant à Johan, son ascension est fulgurante… Ce ne pouvait être autrement, il est tellement doué (Johan Dalgaard était l’organiste de Johnny Hallyday lors de son « Tour 66 », Nda). Je suis toujours le parcours de ceux que j’aime…
Tu disais que ta musique est très ouverte mais comment la définirais-tu aujourd’hui ?
Il y a toujours une solide base de blues très roots dans ma musique. J’aime y injecter d’autres couleurs musicales (jazz, rock, musique indienne, gammes phrygiennes…)… Je fais beaucoup de slide, à l’instar de Derek Trucks que j’aime beaucoup. Mon prochain album en sera la parfaite illustration…
Qu’évoquent les textes que tu interprètes ?
Sur mon premier album ils ne reflétaient guère du quotidien comme cela est souvent le cas dans le blues. Je voulais, humblement, y exprimer ma vision du monde, de notre planète. Mon deuxième disque « Domingo » était dédié à mon beau-père que j’aimais beaucoup qui nous avait quittés la même année.
J’aime évoquer l’amour, les relations humaines…
Actuellement, sur scène, je m’approprie les textes (des morceaux traditionnels qui datent des années 1950) de certains chanteurs cubains (comme Ibrahim Ferrer et d’autres artistes issus du Buena Vista Social Club) que je revisite d’une manière blues. Comme je comprends parfaitement les paroles, je suis très touché par celles-ci…
J’aime cette idée de m’approprier des textes et de bâtir une autre musique autour…
Tu as déjà évoqué ton futur album mais peux-tu me parler, plus en détails, de tes projets ?
Comme tu le sais, pour trouver facilement des concerts il faut avoir une actualité. C’est-à-dire enregistrer des albums… Je prévois donc un nouveau disque pour fin 2011.
J’ai actuellement 44 ans et j’essaye de moins me disperser. J’ai tant d’influences que j’ai parfois du mal à savoir où me « poser », c’est embêtant. J’ai beaucoup d’admiration pour les artistes qui arrivent à jouer pendant 30 ou 40 ans la même musique mais, en même temps, je les plains. C’est quelque chose que je n’arrive pas à concevoir. Quand j’enregistre un nouvel album, je ne peux pas imaginer qu’il puisse ressembler au précédent. Pour moi un artiste se doit d’évoluer, il faut qu’il s’enrichisse et même pécuniairement s’il le peut (rires) !
Mon prochain disque « respirera » vraiment mais quand les titres seront dynamiques, ils seront vraiment très dynamiques. Je veux y laisser des silences, des respirations afin de mieux imprimer ce que j’ai à exprimer. C’est comme parler pour ne rien dire, c’est une chose qui ne m’intéresse pas. C’est une chose qui s’acquiert avec l’expérience de la scène et de la musique en général…
Aurais-tu des souhaits de collaborations pour ce futur disque ?
Oui j’ai contacté Ben… Ben Harper mais il n’est pas disponible (rires) !
En fait je ne sais pas encore… Peut être Johan Dalgaard justement puisque c’est un super pote. Il navigue un peu dans une « stratosphère » actuellement mais j’aimerais qu’il soit là.
Je voudrais faire ce disque en quartet avec lui aux claviers. Il ne faut pas le dire car lui-même ne la sait pas encore (rires) ! Il n’est pas impossible que je contacte aussi un harmoniciste pour deux ou trois morceaux. Greg Zlap, par exemple, qui avait déjà joué sur mon premier album.
Tout cela va se construire au fur et à mesure, il faut du temps pour tout préparer.
Quel est ton souhait le plus cher pour l’avenir ?
C’est une question bien vaste ça…
Je suis sûr qu’il ne porte pas sur la musique, ta carrière et sur son aspect pécunier…
Oui, c’est une chose certaine…
J’espère simplement pouvoir vivre assez longtemps pour pouvoir dire tout ce que j’ai à dire musicalement. J’ai encore des choses à dire et je le ressens. Il y a des choses qui étaient profondément enfuient au fond de moi qui commencent enfin à remonter. Pour moi l’argent est secondaire, même si la musique est un métier et qu’il faut bien gagner sa vie.
Sinon, ce qui passera toujours au dessus de tout est ma vie de famille et mes enfants !
As-tu une conclusion à ajouter à cet entretien ?
Je voulais déjà te remercier. Comme d’habitude, ça me fait plaisir de te voir…
Je pourrais, aussi, conclure en disant qu’il faut toujours être vrai et le plus sincère dans ce que l’on fait. Il faut s’obstiner à suivre sa route, malgré les tempêtes que l’on peut rencontrer en chemin. Il faut être en accord avec soit même et rester cohérent dans sa démarche artistique.
Je ne serai jamais Prince et ça ne me dérange pas. Par contre je tiens à conserver une certaine reconnaissance artistique. C’est une chose normale à partir du moment où l’on veut partager sa musique. Le fait de voir le plaisir que peut prendre le public à ce que tu fais est ce qu’il y a de plus beau pour un artiste. Pour moi c’est fondamental, le plus important…
Remerciements : Marie Hernandez
www.lorenzosanchez-blues.com
www.myspace.com/lorenzosanch
|
|
Interviews: |